En 2016, la microbrasserie de l’abbaye Saint-Wandrille naît, en Seine-Maritime, de l’envie des moines de renouer avec un artisanat concret après l’arrêt d’une autre activité lucrative de l’abbaye bénédictine. Des clients de la boutique de l’abbaye expriment leur désir d’un produit authentique, fabriqué sur place, par les moines eux-mêmes. C’est de là qu’émerge l’idée d’une brasserie, première du genre au XXIe siècle en France.
Frère Barthélemy, aide-brasseur, frère Matthieu, brasseur, et Frère Peruta, responsable de la mise en bouteilles et gérant de la SARL.
Dans le silence épais de l’abbaye millénaire, les moines bénédictins mènent chaque étape de la fabrication. Du brassage à la mise en bouteille, jusqu’à l’étiquetage, tout est pris en main par les frères. Loin d’imiter les recettes belges, ils créent une bière d’abbaye bien à eux, enracinée dans leur histoire et leur terroir. Leur bière se remarque.
À l’inverse des bières trappistes certifiées Authentic Trappist Product (ATP), la microbrasserie de l’abbaye de Saint-Wandrille porte le label MONASTIC. Ce label garantit que les produits sont bel et bien fabriqués dans l’enceinte d’un monastère, sous la responsabilité directe des moines(1).
La première à voir le jour, la Saint-Wandrille, une blonde ambrée, sort en décembre 2016. Bien joué, car elle est bien accueillie (c’est ma préférée). Rapidement, elle sera suivie par la Sicera Humolone, une blonde blanche, puis par la Scottici Generis, une bière noire lancée en 2018. « Depuis, nous élaborons et produisons nos propres bières, seules bières d’abbaye française brassées par des moines. Uniques en leur genre, elles séduisent un public large et participent à la renommée de notre monastère. Il s’agit de notre activité économique principale« , détaille frère Matthieu.
À ce jour, seuls huit monastères dans le monde peuvent apposer le label « Authentic Trappist Product » (ATP) sur leurs bières : six en Belgique (Orval, Chimay, Rochefort, Westvleteren, Westmalle), un aux Pays-Bas (La Trappe), un en Italie (Tre Fontane), un en Angleterre (Tynt Meadow).

Une aventure brassicole portée par des moines
L’idée de lancer une brasserie germe peu à peu, entre réflexion sur le devenir économique de l’abbaye et appel du métier. Il y avait plusieurs idées, dont la pâtisserie aussi. Un ami offre un kit de brassage au Père Abbé. Un autre frère a un oncle dans le monde du malt, qui met en relation avec Hervé Marziou, biérologue reconnu. Le projet prend forme, et les recettes se développent avec méthode.
Côté nom, aucune hésitation : la brasserie portera tout simplement le nom de l’abbaye. La gamme se compose aujourd’hui de trois bières permanentes : la Saint-Wandrille, la Sicera Humolone et la Scottici Generis. Deux autres viennent enrichir l’offre selon les saisons et les envies. La Hortus Deliciarum, brassée à l’automne avec le houblon du jardin, et la Requies Sitis, une blonde de soif produite ponctuellement.
Une bière monastique, ancrée dans son territoire
Les recettes sont conçues collectivement, par un comité de quelques moines formés et conseillés par un biérologue (ou zythologue. ndlr). Le style de la brasserie se dessine à travers une volonté d’équilibre, d’accords possibles avec les mets, et d’une certaine sobriété aromatique.

La microbrasserie mise sur les circuits courts et une production locale. Les matières premières sont françaises (à l’exception des nouvelles bouteilles). Par ailleurs, si les fûts se vendent dans la région, les ventes en direct, notamment via le réseau des monastères, restent prioritaires. Ici pas question de course à la croissance, mais de maintenir une activité cohérente, stable, et respectueuse des valeurs de la communauté.
« Nous sommes moines avant d’être brasseurs… mais il faut travailler pour vivre », frère Matthieu.
Les moines observent une filière en mutation
Les frères observent que le monde de la bière artisanale vit une période agitée. Beaucoup de jeunes brasseries ferment, quelques rachats industriels apparaissent, et la conjoncture économique reste incertaine. La bière artisanale garde une image de produit plaisir, parfois jugé un peu cher, difficilement compétitif en termes de prix face aux industrielles. Malgré tout, les clients comprennent les enjeux et restent fidèles. N’empêche, la tendance semble revenir vers des bières plus classiques, moins « geek ».
Une identité à part entière promue par les moines
La volonté assumée des moines de rester à taille humaine distingue la brasserie Saint-Wandrille dans l’univers brassicole français. Les Bénédictins ne cherchent pas à grandir pour grandir, mais à brasser des bières constantes, justes, et enracinées. Elles sont moins sucrées que les classiques belges et privilégient l’équilibre. Ce sont aussi, tout simplement, les seules bières monastiques françaises brassées par des moines. Une exception rare dans l’univers brassicole français.
Et demain ?
La communauté se tourne déjà vers 2026 et la préparation des 10 ans de la brasserie. Des collaborations sont en cours ou à venir (les frères ont déjà brassé avec la Brasserie de l’Odon). L’histoire continue, dans le calme du cloître et le frémissement des cuves. Silence, on brasse !

(1) Il faut savoir que derrière des noms comme Leffe, Grimbergen ou Affligem, on trouve en réalité des géants comme AB InBev et Heineken, qui produisent ces bières en masse, bien loin des abbayes, dans des usines aux méthodes standardisées. Le client sait lire…
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Un article de mesbieres